"Ami de longue date partageant la même passion, j'ai souhaité via le jeu de l'interview, vous faire découvrir ici l'oeuvre d' Olivier Léger et le photographe qui se cache derrière son travail"
Comment es-tu venu à la photographie?
C’est une histoire familiale. Enfant, il y avait beaucoup de personnes avec un appareil photo autour de moi. Mon père, en particulier, faisait des photos de nos voyages de vacances. Il passait de longues minutes à attendre qu’il n’y ait personne dans le décor. Ou inversement, nous faisait longuement poser. Tout naturellement j’ai fait un peu la même chose. A la même époque, nous recevions la revue «Photo» et je découvrais les photographes des années 70-80.

Comment as-tu évolué?
Il y a eu les débuts que je viens d’évoquer, puis une phase « technique », assez inévitable quand on commence la photographie. Puis une pause de plusieurs années pendant mes études. Et puis j’ai recommencé avec la naissance du numérique.
J’ai vite senti que je préférais l’image à l’appareil. Je me suis inscrit à un atelier à Arles avec le photographe Klavdij Sluban dont le travail, que j’avais découvert lors de ces mêmes rencontres un an auparavant, m’avait réellement fasciné. Lors de ce premier stage, il a mis des mots sur ce que je pressentais. Cette rencontre a été déterminante, et s’est prolongée par la suite.

Quelle est ta démarche aujourd’hui ?
Le voyage est prétexte, c'est un révélateur.​​​​​​​ Je marche à la recherche  de ces instants où il ne se passe rien de particulier, mais où justement la photographie, par sa grammaire visuelle, va apporter une plus value. Se dévoile ainsi un monde onirique, le sublime peut jaillir de chose insignifiante, une tension peut naître d'une simple posture ou d'un simple positionnement dans l'espace, lumière et obscurité s'affrontent. C'est aussi pour cela que la nuit est une source d’inspiration. Elle me fascine, et surtout fait jaillir les êtres et les choses. Tout semble différent. Tout paraît fantastique.
Je commence à travailler sur des cycles longs, que je mène en parallèle au fil de mes voyages. L’un est actuellement terminé et a donné lieu à une exposition « Parfois sur ma route ».

Quels sont les photographes que tu affectionnes particulièrement?
Bien sûr Sluban mais aussi Robert Franck, William Klein, Daido Moriyama, Trent Park, Keith Carter qui s’inscrivent dans le courant photo apparu à la fin des années 50 aux EU, proche du « Stream of Consciousness » avec une approche marquée par un rapport instinctif à l’appareil, la matière des photos et à un récit devenu le résultat subjectif d’une errance sans destination. L'approche très pure et poétique de Ralph Gibson est aussi précieuse pour moi. Bien sûr la liste n'est pas exhaustive...

Après le fond, parlons de la forme. Quel est ton format préféré? Plutôt couleur ou NB?
La plupart de mes images sont au format paysage, le format vertical s’inscrit dans une démarche moins spontanée, plus calculée, plus construite, plus voulue.
Le NB est venu naturellement car il met une distance à la réalité, et comme je l’ai dit, mon travail ne cherche pas à rendre compte de la réalité. Cependant je mêle parfois NB et image avec une seule ou deux couleurs, le noir, profond, étant pour moi le trait d’union. Je travaille en fait de façon identique dans les deux cas, c’est juste que parfois, la chromie va dans le sens de l’image.
Quel est la place des humains dans tes photos? Et comment les approches-tu?
Elle est importante, la plupart de mes photos sont "habitées", et s’inscrit dans la démarche dont nous parlions. Je n’interagis pas avec les gens que je photographie, car cela brise en général la spontanéité et l’énergie que je recherche. Quand je dis "habitées", on pourrait dire aussi "humanisées", c'est à dire qu'il s'agit d'une présence humaine, le plus souvent générique.
En pratique, comment travailles-tu?
La prise de vue dans ce contexte est un acte physique, instinctif, les choix sont inconscients mais il y a des choix. Parfois on sent d’emblée que tout s’est mis en place. A ce stade le côté cérébral est rarement conscient, c’est après, lorsqu’on analyse l’image, qu’on comprend ce qu’on a voulu, et qu’on a réussi ou pas… C’est à ce moment là, qu’on peut disserter sur la composition, le cadrage, le point de vue… C’est l’editing, qui va faire émerger le regard du photographe.

L'editing est un moment important pour toi?
C’est un moment de création essentiel. Certainement le plus difficile, quand il s’agit de ses propres photos. Il faut éliminer certaines images, parfois bonnes mais qui ne vont pas avec les autres, et prendre assez de recul, dompter ses doutes, pour aboutir à quelque chose de cohérent et fort. Arriver à un moment, il ne faut pas hésiter à se faire aider.

Quelle place pour le texte?
Elle est importante. Il ne s’agit pas d’influencer le spectateur sur ce qu’il doit ressentir. Surtout dans ce type de photographie où une grande liberté est laissée. Il s’agit juste, par une autre voie, d’aller dans le sens des images. Trouver les mots justes et les assembler s’apparente, par bien des aspects, à l’editing. Une résonance doit se faire entre texte et image.

Expo ou livre?
Il s’agit de deux formes de monstration complètement différentes.
Dans la première il faut s’approprier le lieu, c’est éphémère et il y a un côté immédiatement spectaculaire. Dans le second il y a un côté définitif, irréversible qui rend une erreur lourde de conséquence. Mais dans les deux cas, c’est un acte créatif qui vient s’ajouter à celui de la prise de vue puis de l’editing. « La photo c’est l’art des choix infinis » disait un auteur célèbre.
Il faut se faire aider, qu’il s’agisse de l’éditeur dans le premier cas, du scénographe dans le second.
Ma principale expérience est l’exposition que j’ai faite en 2018 dans le cadre du 28° festival Itinéraires des photographes voyageurs à Bordeaux. J’ai pu toucher du doigt la difficulté de l’exercice.
Tout ce chemin, de la prise de vue aux images accrochées ou couchées sur le papier, demande beaucoup de temps. Mais comme me l’a dit un jour le photographe que j’évoquais en début d’entretien, « rien ne presse, ce peut-être l’oeuvre d’une vie ». L’important est d’arriver à quelque chose d’abouti.

Si c’était à refaire?
Ce serait de découvrir le monde pour la première fois, un appareil à la main, sans aucune notion technique, juste l’envie.
Un cliché de ton dernier voyage et pourquoi?
C’est l’image de ce rayon de lumière qui transperce la végétation puis l’eau. Tout ce que ce qui m’intéresse aujourd’hui, et qui est au coeur de ma démarche photographique, s’y trouve. Le caractère éphémère. Le sublime qui peut naître du banal. Le mystère. La mélancolie. Le désir. La sensualité, je devrais presque dire l’érotisme. La « quête de lumière dans la mélancolie de l’ombre ». Edmond Rostand disait « C’est la nuit qu’il est beau de croire en la lumière ».
Le  mot de la fin?
La citation de Robert Delpire « La photo c’est simple. C’est pour ça que c’est difficile ».
Pierre Gély-Fort, Photographe, mai 2022.
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